Том 3. Публицистические произведения [Федор Иванович Тютчев] (fb2) читать постранично, страница - 3


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leur direction déterminée, et d’autre part un autre souverain de l’époque — l’opinion, qui s’en va où les vents et les flots la poussent.

Monsieur, permettez-moi de m’adresser à votre patriotisme et à vos lumières: que pensez-vous d’un pareil état de choses? Quelles conséquences en attendez-vous pour les intérêts, pour l’avenir de votre patrie? Car, comprenez-moi bien, ce n’est que de l’Allemagne qu’il s’agit en ce moment… Mon Dieu, si l’on pouvait se douter, parmi vous, combien peu la Russie est atteinte par toutes ces violences dirigées contre elle, peut-être cela ferait réfléchir jusqu’à ses ennemis les plus acharnés…

Il est évident qu’aussi longtemps que la paix durera, ce désaccord n’amènera aucune perturbation grave et manifeste; le mal continuera à couler sous terre; vos gouvernements, comme de raison, ne changeront pas leur direction, ne bouleverseront pas de fond en comble toute la politique extérieure de l’Allemagne pour se mettre à l’unisson de quelques esprits fanatiques ou brouillons; ceux-ci, sollicités, poussés par la contradiction, ne croiront pas pouvoir s’engager assez avant dans la direction la plus opposée à celle qu’ils réprouvent, et c’est ainsi que, tout en continuant à parler de l’unité de l’Allemagne, les yeux toujours tournés vers l’Allemagne, ils s’approcheront pour ainsi dire à reculons vers la pente fatale, vers la pente de l’abîme, où votre patrie a déjà glissé plus d’une fois… Je sais bien, monsieur, que tant que nous conserverons la paix, le péril que je signale ne sera qu’imaginaire… Mais vienne la crise, cette crise dont le pressentiment pèse sur l’Europe, viennent ces jours d’orage, qui mûrissent tout en quelques heures, qui poussent toutes les tendances à leurs conséquences les plus extrêmes, qui arrachent leur dernier mot à toutes les opinions, à tous les parties… monsieur, qu’arrivera-t-il alors? Serait-il donc vrai qu’il y ait pour les nations plus encore que pour les individus une fatalité inexorable, inexpiable? Faut-il croire qu’il y ait en elles des tendances plus fortes que toute leur volonté, que toute leur raison, des maladies organiques que nul art, nul régime ne peuvent conjurer?.. En serait-il ainsi de cette terrible tendance au déchirement que l’on voit, comme un phénix de malheur, renaître à toutes les grandes époques de l’histoire de votre noble patrie? Cette tendance, qui a éclaté au Moyen-Age par le duel impie et antichrétien du Sacerdoce et de l’Empire, qui a déterminé cette lutte parricide entre l’empereur et les princes, puis, un moment affaiblie par l’épuisement de l’Allemagne, est venue se retremper et se rajeunir dans la Réformation, et, après avoir accepté d’elle une forme définitive et comme une conjuration légale, s’est remise à l’œuvre avec plus de zèle que jamais, adoptant tous les drapeaux, épousant toutes les causes, toujours la même sous des noms différents jusqu’au moment où, parvenue à la crise décisive de la guerre de Trente Ans, elle appelle à son secours l’étranger d’abord, la Suède, puis s’associe définitivement l’ennemi, la France, et grâce à cette association de forces, achève glorieusement en moins de deux siècles la mission de mort dont elle était chargée.

Ce sont là de funestes souvenirs. Comment se fait-il qu’en présence de souvenirs pareils vous ne vous sentiez pas plus alarmé par tout symptôme qui annonce un antagonisme naissant dans les dispositions de votre pays? Comment ne vous demandez-vous pas avec effroi si ce n’est pas là le réveil de votre ancienne, de votre terrible maladie?

Les trente années qui viennent de s’écouler peuvent assurément être comptées parmi les plus belles de votre histoire; depuis les grands règnes de ses empereurs saliques jamais de plus beaux jours n’avaient lui sur l’Allemagne; depuis bien des siècles l’Allemagne ne s’était aussi complètement appartenue, ne s’était sentie aussi une, aussi elle-même; depuis bien des siècles elle n’avait eu vis-à-vis de son éternelle rivale une attitude plus forte, plus imposante. Elle l’a tenue en échec sur tous les points. Voyez vous-même: au delà des Alpes vos plus glorieux empereurs n’ont jamais exercé une autorité plus réelle que celle qu’y exerce maintenant

une puissance allemande. Le Rhin est redevenu allemand de cœur et d’âme; la Belgique, que la dernière secousse européenne semblait devoir précipiter dans les bras de la France, s’est arrêtée sur la pente, et maintenant il est évident qu’elle remonte vers vous; le cercle de Bourgogne se reforme, la Hollande, tôt ou tard, ne saurait manquer de vous revenir. Telle a donc été l’issue définitive du grand duel engagé il y a plus de deux siècles entre la France et vous; vous avez pleinement triomphé, vous avez eu le dernier mot. Et cependant, convenez-en: pour qui avait assisté à cette lutte depuis son origine, pour qui l’avait suivie à travers toutes les phases, à travers toutes ses vicissitudes, jusqu’à la veille du jour suprême et décisif, il eût été difficile de prévoir une pareille issue; les apparences n’étaient pas pour vous, les chances n’étaient pas en votre faveur. Depuis la fin du Moyen-Age, malgré quelque temps d’arrêt, la puissance de la France n’avait cessé de grandir, en se concentrant et en se disciplinant, et c’est à partir de cette époque que l’Empire, grâce à sa scission religieuse, est entré dans son dernier période, dans le période de sa désorganisation légale; les victoires même que vous remportiez étaient stériles pour vous, car ces victoires n’arrêtaient pas la désorganisation intérieure, où souvent même elles ne faisaient que la précipiter. Sous Louis XIV, bien que le grand roi eût échoué, la France triompha, son influence domina souverainement l’Allemagne; enfin vint la Révolution, qui, après avoir extirpé de la nationalité française jusqu’aux derniers vestiges de ses origines, de ses affinités germaniques, après avoir rendu à la France son caractère exclusivement romain, engagea contre l’Allemagne, contre le principe même de son existence, une dernière lutte, une lutte à mort; et c’est au moment où le soldat couronné de cette Révolution faisait représenter sa parodie de l’empire de Charlemagne sur les débris mêmes de l’empire fondé par Charlemagne, obligeant pour dernière humiliation les peules de l’Allemagne d’y jouer aussi leur rôle, c’est dans ce moment suprême que la péripétie eut lieu, et que tout fut changé.

Comment s’était-elle faite, cette prodigieuse péripétie? Par qui? Par quoi avait-elle été amenée?.. Elle a été amenée par l’arrivée d’un tiers sur le champ de bataille de l’Occident européen; mais ce tiers, c’était tout un monde…

Ici, monsieur, pour nous entendre, il faut que vous me permettiez une courte digression. On parle beaucoup de la Russie; de nos jours elle est l’objet d’une ardente, d’une inquiète curiosité. Il est clair qu’elle est devenue une des grandes préoccupations du siècle; mais, bien différent des autres problèmes qui le passionnent, celui-ci, il faut l’avouer, pèse sur la pensée contemporaine, plus encore qu’il ne l’excite… Et il ne pouvait en être autrement: la pensée contemporaine, fille de l’Occident, se sent là en présence d’un élément sinon hostile, du moins décidément étranger, d’un élément qui ne relève pas d’elle, et l’on dirait qu’elle a peur de se manquer à elle-même, de mettre en cause sa propre légitimité, si elle acceptait comme pleinement légitime la question qui lui est posée, si elle s’appliquait sérieusement, consciencieusement à la comprendre et à la résoudre… Qu’est-ce que la Russie? Quelle est sa raison d’être, sa loi historique? D’où vient-elle? Où va-t-elle? Que représente-t-elle? Le monde, il est vrai, lui a fait une place au soleil, mais la philosophie de l’histoire n’a pas encore daigné lui en assigner une. Quelques rares intelligences, deux ou trois en Allemagne, une ou deux en France, plus libres, plus avancées que le gros de l’armée, ont bien entrevu le problème, ont bien soulevé un coin du voile, mais leurs paroles jusqu’à présent ont été peu comprises, ou peu écoutées.

Pendant longtemps la manière dont on a compris la Russie, dans l’Occident, a ressemblé, à quelques égards, aux premières impressions des contemporains de Colomb. C’était la même erreur, la même illusion d’optique. Vous savez que pendant longtemps les hommes de l’ancien continent, tout en applaudissant à l’immortelle découverte, s’étaient obstinément refusés à admettre l’existence d’un continent nouveau; ils trouvaient plus